La bague que l’on s’offre à soi-même

La bague que l’on s’offre à soi-même

Il devait être 18h30 ce vendredi-là. J'étais en train de fermer quand cette nana pousse la porte. La trentaine, tailleur froissé, cheveux un peu défaits, l'air d'avoir couru toute la journée. Mais ses yeux ! Ils pétillaient comme ceux d'une gamine le matin de Noël.

"Bonsoir ! Vous fermez pas déjà j'espère ?"

Non non, j'avais encore quelques minutes. Elle entre, fait le tour des vitrines d'un pas pressé, puis s'arrête net devant les bagues.

"Voilà. Je veux une bague. Pour moi. Là, maintenant."

Alors là, j'avoue, ça m'a intriguée. D'habitude les gens qui arrivent comme ça en fin de journée, c'est qu'ils ont oublié un anniversaire. Mais elle, elle était toute seule.

"C'est pour une occasion spéciale ?" je demande.

Elle éclate de rire. "Ouais ! Je viens de signer le contrat de ma vie. Enfin, de ma petite vie d'entrepreneur débutante. Trois mois que ma boîte existe, et hop ! Premier gros client dans la poche !"

Elle rayonnait tellement que j'avais envie de l'applaudir. Vous savez ce que c'est, nous les commerçants indépendants, on se comprend entre nous.

"Félicitations ! C'est quoi comme business ?"

"Conseil en communication digitale. Bon, c'est pas très sexy dit comme ça, mais j'adore ça. Et aujourd'hui, j'ai décroché une grosse PME de la région. Trois ans de contrat !"

Du coup, on a sorti le champagne. Enfin, façon de parler, mais j'étais vraiment contente pour elle.

"Et donc vous voulez célébrer ça avec une bague ?"

"Exactement ! Quelque chose que je porterai tous les jours. Pour me rappeler que j'ai réussi à convaincre ce PDG. Que je suis pas juste une petite freelance qui fait mumuse."

J'ai sorti ma sélection de bagues en or 18 carats. Elle les essayait une par une, très concentrée. Une avec des petites pierres : "Trop bling-bling". Une ciselée : "Trop chargée". Une vintage : "Trop grand-mère".

Et puis elle tombe sur un simple jonc doré, tout lisse. Elle l'enfile, tend sa main vers la lumière.

"Ah ! Celle-là !"

Elle se regarde dans le miroir, tourne sa main dans tous les sens, sourit toute seule.

"C'est parfait. Classe mais pas tape-à-l'œil. Exactement ce qu'il me faut pour mes rendez-vous clients."

Pendant que je prépare le paiement, elle me raconte son parcours. Licenciement il y a six mois, galère pour retrouver du boulot, puis le déclic : pourquoi pas se lancer ? Famille qui flippe, copines qui doutent, mais elle, elle y croit.

"Cette bague, c'est ma médaille à moi. Personne va me féliciter à part ma mère, alors je me félicite moi-même !"

J'adorais son énergie. En repartant, elle me lance : "La prochaine fois que je passe, ce sera pour acheter les boucles d'oreilles assorties !"

Deux mois plus tard, elle revient effectivement. Toujours sa bague au doigt, et toujours ce même sourire conquérant.

"Alors, ces boucles d'oreilles ?" je plaisante.

"Pas encore ! Mais je progresse. J'ai embauché une stagiaire la semaine dernière. Et regardez ça..."

Elle me montre sa bague. L'or a pris cette patine chaude des bijoux portés quotidiennement.

"Je la tripote sans arrêt pendant les réunions. C'est devenu mon petit rituel porte-bonheur."

Cette histoire me rappelle ce jeune avocat qui s'était acheté une gourmette après avoir gagné son premier procès. Ou cette instit qui s'était offert un pendentif quand elle a eu sa titularisation.

Des gens qui s'offrent un bijou pas parce qu'on leur impose (mariage, anniversaire), mais parce qu'ils ont envie de marquer un moment important pour eux.

Chez nous, on voit souvent ça. Des clients qui viennent célébrer leurs petites victoires personnelles. C'est touchant, ces gens qui n'attendent pas qu'on reconnaisse leurs mérites. Ils se reconnaissent eux-mêmes.

L'or 18 carats, c'est parfait pour ça. Ça dure, ça se patine bien, ça accompagne une vie professionnelle. Et surtout, ça rappelle chaque jour qu'on a été capable de réussir quelque chose d'important.

Parce que bon, soyons honnêtes : qui d'autre va célébrer nos petites victoires de entrepreneur si on le fait pas nous-mêmes ?

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